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Sur les traces de « l’insaisissable » Albert Kahn (L’ALSACE)

samedi 18 février 2012, par La cavale

Documentariste installé à Lapoutroie, Robin Hunzinger consacre un film àce mystérieux « banquier utopiste » d’origine alsacienne, mort en 1940.

le 18/02/2012 à05:00 par Propos recueillis par Olivier Brégeard

Qu’est-ce qui vous a amené à vous intéresser à Albert Kahn (1860-1940) ?

J’ai fait beaucoup de films d’histoire, avec des archives, et un jour, il y a environ trois ans, je suis tombé sur le Fonds Albert-Kahn, que je ne connaissais pas. J’ai découvert le personnage qui se trouvait derrière, son histoire et le grand projet qu’il avait lancé. On connaît beaucoup Albert Kahn pour ses jardins de Boulogne-Billancourt (où il s’installa à partir de 1893 et où se trouve aujourd’hui le musée qui porte son nom), un peu par les autochromes, un des premiers procédés de photographie couleur, dont il a créé la plus grande collection au monde. Il a aussi fait faire de nombreux films par des opérateurs, qui ne montraient pas les puissants, mais le peuple. J’ai trouvé tout cela passionnant et j’ai voulu en savoir plus sur cet homme. J’ai mené l’enquête pendant quasiment deux ans.

Avez-vous découvert quelque chose de nouveau ?

On a toujours dit qu’Albert Kahn était très mystérieux. Des recherches importantes avaient été menées au musée, créé dans les années 1990, mais il restait des zones d’ombre. On a découvert des photographies de lui venant de Suède, j’ai retrouvé une grande villa où il a habité, au Cap Martin, sur la Côte d’Azur, on en sait aussi davantage sur le pourquoi du tout.

Quelle était son ambition en « archivant » l’état de la planète ?

Il est né à Marmoutier en 1860, a quitté l’Alsace après l’annexion allemande, en 1876. Il a été marqué par les guerres de 1870 et de 1914-18. Il pensait que si les élites apprenaient à se connaître, on pourrait éviter la guerre et faire bouger le monde. Il est utopique, mais ses moyens d’action sont très modernes et très réels. C’est le premier homme qui a fait des revues de presse, envoyées dans le monde entier, pour montrer comment l’Angleterre, la France, ou l’Allemagne, voyaient tel ou tel sujet. En France, en Allemagne, en Angleterre, en Russie et aux États-Unis, il a créé les bourses « Autour du monde », pour des agrégés, hommes et femmes. Il les réunissait dans son domaine de Boulogne, dans une maison qui s’appelle le « Cercle autour du monde ». Aidé par le géographe Jean Brunhes, il a envoyé ses opérateurs filmer et photographier le monde entier. Il voulait montrer les peuples dont le mode de vie allait disparaître avec l’industrialisation. C’est ce qu’il a appelé les « Archives de la planète ».

Albert Kahn a fait filmer le monde, mais a-t-on des images de lui ?

Très peu. Pendant longtemps, on a pensé qu’il n’y avait qu’une seule photo de lui. Chaque fois que ses opérateurs voulaient le filmer ou le prendre en photo, il se cachait. Mais dans les rushes du musée, on finit par l’apercevoir. Il a également écrit un opuscule, Du droit et des devoirs des gouvernements (publié en 1918), qui propose un système pour que le monde aille mieux. On y voit les prémisses de la SDN, la Société des nations, créée l’année suivante. Il faut imaginer le jeune homme issu d’une famille juive de Marmoutier, pas très aisée, qui a réussi à faire tout ça !

Comment a-t-il construit sa fortune ?

Quand il quitte l’Alsace pour Paris, il entre, comme simple employé, dans la banque des frères Goudchaux, apparemment des gens proches de sa famille. Comme il a des idées, il investit dans des marchés sur lesquels les banques traditionnelles ne vont pas : en Rhodésie, au Japon… Et à chaque fois, il réussit.

Était-il resté attaché à l’Alsace, sa région natale ?

Il revenait très souvent à Saverne et descendait à l’Hôtel de la Gare. Il y a même emmené l’empereur du Japon ! Il se promenait dans les Vosges, au Grand Ballon… Dans son jardin de Boulogne, il a recréé une forêt vosgienne au bord de la Seine, faisant venir d’énormes blocs de granit, des pins et des sapins… À Marmoutier, on trouve toujours la maison où il est né. Pour sa collection d’autochromes, ses opérateurs ont photographié le Haut-Rhin et le Bas-Rhin, à la fin et après la Première Guerre mondiale. Ils ont filmé la libération de Strasbourg, en 1918.

Son ambition était celle d’un humaniste, mais il vivait en reclus, comme une sorte de « Citizen Kahn »…

Il n’était pas marié, mais on a découvert qu’il avait une compagne. Il était végétarien, ne changeait guère de vêtements. Il vivait avant tout pour son œuvre, c’est par elle que l’on peut essayer de le comprendre. Il restera toujours un personnage en creux. Il n’a pas eu de descendance. Son argent était tiré de la spéculation et il est mort ruiné par la crise de 1929. Le Département de la Seine a racheté ses biens, dont ses collections de films et de photographies.

VOIR

L’insaisissable Albert Kahn, banquier utopiste (52 minutes), mercredi 22 février à 23 h 55, sur France 3 Alsace, et mercredi 5 mars vers minuit, sur France 3 national.


L’Alsace - le 18/02/2012

par Olivier Brégeard