Accueil > Les Films > "Eloge de la cabane ", 2003

"Eloge de la cabane ", 2003

mercredi 8 octobre 2003, par Robin Hunzinger

“Eloge de la cabane”, moyen-métrage documentaire, 52 minutes, SD, Dolby Surround, 2003
Production : REAL PRODUCTIONS - / FRANCE TELEVISIONS

Distribution en salles de cinéma “art et essai” par Documentaire sur Grand Ecran Distribution.

La cabane du recours aux forêts est un "lieu théorique" une "expérience de pensée", ou encore un "lieu psychique." Ce film documentaire interroge les notions de rébellion, d’expérience et de jeu, de critique ou d’utopie qu’ouvre l’idée même de la cabane.

Festival Cinéma du Réel, Compétition française, centre Georges Pompidou, Paris, 2003. / Festival Kino im Fluss, Saarbrücken, 2003 / Cycle "Bonheur : modes d’emploi", Cinéma des cinéastes, Paris, 2003. / Festival du film ethnographique, Caen, 2003. /Festival international Résistances, Foix, aout 2004..

Lien vers le film en VOD (location et achat) : https://robinhunzinger.vhx.tv/products/eloge-de-la-cabane

La doctrine du recours aux forêts et de la cabane est antique comme le monde des hommes. Elle donne leurs grands thèmes aux contes et légendes avec les sorcières, les géants, les loups mangeurs d’hommes. On la retrouve dans l’essai, Walden ou la vie dans les bois, de l’américain Thoreau et dans Le traité du rebelle, de l’allemand Ernst Junger, tout comme dans les romans d’Arno Schmidt, du suédois Knut Hamsun, de l’italien Italo Calvino, et du beatnik, Kerouac. Et chez les Français ? Rien.

Qui croirait alors que ce thème s’incarne à profusion, en France, en ce début de 21e siècle ?

Car, même si l’antique forêt s’est transformée en domaine d’Etat et en domaine privé avec ses lois régissant la vie, des individus ont commencé et continuent à se perdre dans des endroits toujours reculés.

Pour quelle raison ?

La cabane est d’abord un savoir de l’enfance lié à son pouvoir de fabulation, magique, légère. L’excitation de l’enfant vient du pouvoir qu’il y découvre. L’enfant dans sa cabane joue, agit tout en se sachant dans l’illusion.

En va-t-il autrement des adultes ?

Non, probablement, beaucoup de personnes, pratiquant la cabane, se placent sous le signe de l’enfance et de sa proximité sensorielle avec les choses. Ses jeux peuvent émerger sous la forme de rêve éveillé, rêvasseries préparant ou non des passages à l’acte ; éventuellement, par le mécanisme de sublimation, ils peuvent s’intégrer au processus créateur de façon active (production de peinture, musique, littérature) ou passive (consommation de peinture, musique, littérature, d’émotions plastique ou dramatique). La cabane est de ce fait propice à la liberté, à l’imaginaire et à la création.

Mais la cabane peut aussi devenir une manière de vivre et un véritable recours. Elle marque souvent le passage entre une vie citadine et une nouvelle vie. Car la cabane est le premier abri que l’on peut se construire pour se protéger des éléments naturels. Aujourd’hui, beaucoup de ceux qui ont recours à la cabane des forêts ont été poussés dans des chemins sans voie, rejetés du monde, proscrits, condamnés, fugitifs. Pourtant, par ce fait étrange, ils se sont rencontrés eux-mêmes. Ayant développé le sens de la responsabilité individuelle, ils sont devenus les maîtres de leur destin grâce à une solidarité, rencontrée sur place, au contact d’une génération antérieure, sur place depuis les années 70, et qui les a menés vers le chemin de la liberté. Etre libre dans l’isolement absolu est-il une absurdité ?

Enfin, la cabane est par essence libertaire. Elle permet de refuser la législation, l’autorité et l’influence officielle et légale de notre monde et d’en créer un autre spontanément libre. Elle se propose de reconstruire la vie en commun sur la base de la volonté individuelle autonome. Elle est l’espace même de l’utopie. Les Rebelles rejettent la société moderne, qu’ils considèrent comme totalitaire. A l’inverse du Travailleur, ils refusent la nécessité et « combattent la technique qui mène le monde à sa perte ». Néanmoins, ils ne renoncent pas entièrement aux instruments modernes dont ils ont besoin pour préserver leur liberté. Mais les Rebelles peuvent se réfugier dans les forêts que tout homme porte en lui : l’art et la pensée.

Ce film documentaire interrogera les notions de jeu et d’expérience sensorielle, d’autonomie, de réflexion ou d’utopie qu’ouvre l’idée même de la cabane.

Enfant, j’ai construit des cabanes.

Aujourd’hui, ma cabane est située dans les bois, quelque part dans une forêt haut-rhinoise du massif vosgien. C’est une ancienne roulotte de bohémiens, longue de six mètres, posée à la fin d’un étroit chemin de pierre, surplombant une petite vallée. A l’intérieur, une table et une chaise, un poêle Gaudin et un matelas. J’ai beau réparer le toit, chaque année c’est la même chose : le vent emporte la toile goudronnée, les gouttières pourrissent, l’eau rentre, des champignons y poussent.

J’y vais de temps en temps et cherche à réfléchir à ce que veut dire la cabane aujourd’hui.

Le fait de vivre dans une construction étroite, provisoire, et relativement fragile induit nécessairement une relation spécifique au territoire dans lequel elle s’inscrit, à l’espace du dehors et aux éléments, donc une relation à la nature. Construction modeste et transitoire, la cabane est en somme l’étonnant révélateur d’une pratique inédite de l’espace à vivre, par lequel dedans et dehors communiquent, au lieu de s’exclure.

D’autre part, construire une cabane c’est précisément ne rien fonder. Pas de stabilité ou de racines bien que beaucoup de cabanes deviennent de petites maisons. Souvent construite sans permis de construire, sans plan préalable, faite de bric et de broc, d’assemblage et de disjonction, c’est un lieu précaire qu’il faut sans cesse réajuster. Elle joue avec le presque rien, le pas grand chose, avec juste l’essentiel.

La cabane est une rêverie universelle : ni bien public, ni propriété privée ; ni tout à fait hors du monde, ni tout à fait intériorisée. Elle est une aire intermédiaire ; un lieu en suspension, en devenir ; un potentiel d’expériences.

Le 28 décembre 2000, j’y suis retourné une nouvelle fois. J’avais longuement préparé l’opération, préparant du bois sec, prenant une bâche pour le toit, des bougies, des livres, des cahiers, des stabilos : tout l’attirail pour imaginer mon prochain film. Il faisait 0° dehors et la neige tombait. Je voulais expérimenter la cabane, avoir des images précises et des sensations fraîches.

Aujourd’hui, je souhaite raconter cette magie active, personnelle, la confronter aux expériences concrètes d’autres personnes. Pour cela, tout en menant ma propre expérience, je veux partir à la rencontre de ceux qui, de leur côté, en 2002, m’a-t-on dit, se cachent dans les forêts. En cherchant sur un moteur de recherche de l’internet, j’ai trouvé quelques pistes, puis tout à coup, j’ai découvert un véritable monde vivant dans des cabanes. Je suis allé voir. Ils sont nombreux, au début de ce troisième millénaire technique, à avoir des modes de vie plus radicaux que le mien. C’est une civilisation des cabanes, parallèle à la nôtre, qui vit sans bruit, qui vit cachée. Mais si les modes de vie des personnages que j’ai déjà rencontrés sont semblables, les motivations sont différentes.

Pourquoi et comment des personnes se retrouvent par choix ou par hasard, souvent dans des forêts, à l’écart de la société urbaine, dans des sortes de huttes, cabanes, abris précaires qu’ils se sont construits ?

Leur cabane est-elle « un retour à l’enfance » ? « Un lieu ludique » ? « Un abri de survie » ? « Une expérience de pensée » ? « Un lieu libertaire » ? Ou encore « un lieu psychique » ?

Ne serait-ce pas la tentative d’une construction d’autre chose ?

Est-ce que, si la société est censée protéger les humains de la nature et des autres hommes, la nature protège-t-elle de certains aspects de la société ? Et comment s’y protège-t-on des violences de la nature elle-même (maladie, froid, tempête) ?

Est-ce que la cabane est liée à la jeunesse ? Y a-t-il des gens âgés ?
Quelle est cette vie de cabane ?

Notons enfin que la forêt est secrète. Ceux qui y vivent y sont presque toujours clandestinement. Ce sont des hors-la-loi. Pour respecter le mystère de ceux qui feront que ce film existe, la région et les lieux où ils vivent seront maintenus cachés en n’étant pas situés géographiquement.